/ FRANCK GOURDIEN

TEXTES

 

 

 

YVES MILLET (PDF 1 2 3)

 

 

 

Temps des glaciers

blocs de suspend, de respiration lente.

Films formes courts.

Visions

prŽhensives de lieux, dĠinstants, en un mot

de paysages hallucinŽs.

Ce qui signifie, pour ne pas sĠy tromper,

que ces films sont eux-mmes des

paysages, des expŽriences de paysages : ils

se traversent, sĠempruntent ; on y pŽntre

et sĠen Žloigne.

Chaque film est un noyau dense qui sĠapparente

ˆ un pome. Chaque film

est, en quelque sorte, un vidŽo-pome et il

convient dĠy voir

lĠŽlaboration dĠun genre nouveau.

Pareillement, il faut tre sensible ˆ

ce qui se passe, ce qui sĠy passe. Car ce

nĠest pas la prŽsence dĠun

texte qui fait que la visualisation dĠun film

se rapproche de

lĠexpŽrience de la lecture dĠun pome mais

la densitŽ mme de ce qui

est donnŽ ˆ voir.

 

  

 

Cette densitŽ provient en grande partie de

lĠusage plein que lĠauteur fait des moyens plastiques

et littŽraires actuels auxquels

sĠajoute, en contrepoint, la rigueur du montage.

Il y a, en effet, un travail de disruption permanente,

de frottis, de

surcharges, de glissements, dĠempreintes, de

glacis, de fondus, de

transparence ou de saturation aux limites du

visible.

On parvient ˆ un

point dĠŽquilibre proche, le plus souvent, dĠun

point de rupture –

rupture de la perception lorsque celle-ci se voudrait

lĠexacte

contemporaine de lĠŽlocution.

 

  

 

Ç Or, Žcrit Baudelaire, un pome ne se

copie jamais, il veut tre

composŽ. È Cette composition indispensable

au pome comme au paysage,

relve ˆ lĠŽvidence du montage.

Mais la perception du temps qui en ressort

est dĠune nature singulire.

Au coeur de ces lignes et points

de tension, la camŽra est un levier qui

hisse, ˆ hauteur du regard, un

temps gŽologique.

 

 

Le rythme que le montage impose, renforcŽ

par le choix des musiques, nous ramne

pŽriodiquement ˆ un point essentiel de

lĠesthŽtique en oeuvre dans ces films :

contrairement ˆ ceux qui pensent

que le cinŽma est acquis, dŽdiŽ aux surfaces

des choses et ˆ

lĠentremlement des tres, ces images remontent

du fond ; chaque film

est un galet remontŽ ˆ la surface, issu dĠun

dŽplacement sourd.

 

 

Des films o mme les brumes crissent.

Quand bien mme ils sĠautorisent ˆ la

souplesse des vagues, le temps

cinŽmatographique est ici un temps

dŽdiŽ ˆ lĠŽpaisseur des choses.

Et si les images remontent ainsi du

fond avec une telle densitŽ, cĠest

quĠelles impliquent non pas tant lĠoeil

que le corps. CĠest en cela

quĠelles font un pome, cĠest en cela

quĠelles constituent un paysage.

 

 

 

(İYves Millet 2007)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MAISON

 

Une maison de rien, un jardin dĠabandon.

La Maison rouge. Titre cŽzannien ou,

mieux, peut-tre, des rouges Soutine dans

un ciel de fin dĠŽtŽ, des verts pomme de

printemps avortŽ.

Du vent

 

 

Maison ou un film ˆ deux Žquations :

1Ħ)

Soit un lieu, un espace quelconque.

Soit ensuite un regard, une perception

parcourant cet espace.

Vous obtenez un territoire.

Est-ce le regard dĠun enfant, dĠun fou ou dĠun

animal ? AssurŽment ni le mien ni le v™tre. Qui

regarde ? La force du film rŽside dans cette

incertitude. CĠest lˆ, au sens strict, son point

aveugle. Car cette Žnigme qui porte sur le regardant

et non sur le regardŽ, nous place, nous

spectateur, ˆ lĠexacte intersection dĠun voir et

dĠun regarder.

Nous voyons mais sans pouvoir dŽterminer

prŽcisŽment la nature de ce qui est vu et nous

nous voyons regarder sans comprendre de manire

certaine ce qui est vu.

Maison ou le temps dĠune perturbation. Car,

peut-tre nĠavons-nous pas suffisamment remarquŽ

que lorsque le regard se pose ainsi

sur les choses –par un simple changement de

hauteur du regard – les choses nous regardent

alors, nous sommes regardŽs.

 

 

 

 

Revenons au territoire :

2Ħ)

Soit un lieu, une maison.

Soit un regard tissant un territoire.

Vous obtenez un foyer.

Une maison est lĠespace dĠun foyer. Un

foyer a toujours ŽtŽ le point de distribution

des activitŽs humaines, celui ˆ partir duquel

on part et o lĠon revient.

Le foyer inaugure et (re)distribue. Il est, lˆ

aussi au sens strict, le point focal ˆ partir

de quoi un territoire se constitue.

Dans Maison le point focal est un point

aveugle parce que ce qui est vu nĠest pas

regardŽ mais peru. SĠil y a territoire, cĠest

celui dĠun chien ou dĠune araignŽe É

 

(İYves Millet 2007)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GRIS et suite

 

Tout dĠabord un gris

Peut-tre une fin ?

Une saturation ?

Du gris.

Un fonds de gris, dĠintensitŽ variable.

Des images ? Ë peine.

 

 

Rien du Chaos dĠHŽsiode

Une Žtendue neutre, grise.

‚a film, rien dĠautre.

Comme certains parlent du lieu de lĠŽcriture

Un a qui nĠa pas de lieu

a parle, a Žcrit...

Un je(u) neutre.

 

 

 

Un fonds de rŽserve,

rŽserve dĠintensitŽs,

de traces au seuil de

lĠoubli.

Un fonds dĠŽmission

de formes ˆ peine esquissŽes

sur le sable, dĠondes

dĠo procdera lĠimage,

dĠune image prŽcŽdŽe,

prise dans un procs.

Puis,

Un bleu,

mlŽ de mots

Une vague enfin,

DĠune Žconomie en boucle

 

 

Premire vague de rŽcits

Vague grise, bleue

Premire vague ˆ bousculer les

hanches des baigneuses.

 

 

(İYves Millet 2007)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Luc Guionnet

Remplacer du visible complexe par de lĠinvisible simple

 

JĠai avec vos vidŽos deux relations dont lĠune mĠest personnelle alors

que lĠautre nettement moins : la premire tient ˆ la forme de ces vidŽos,

et la relation impersonnelle se situe par rapport au texte. Au dŽpart,

cela correspond ˆ un mode dĠutilisation de lĠimage et du son (que ce

soit de la vidŽo ou un autre mŽdium) que jĠattends depuis longtemps,

qui existe plus ou moins, cĠest vrai, mais peu. Je trouvais ici ou lˆ

des tentatives en ce sens, chez J.-D. Pollet surtout – un film comme

LĠordre par exemple ; et je pense que vos films sĠinscrivent dans ce

genre. Ce, pour un certain nombre de raisons mais surtout pour une

principale, laquelle ne correspond peut-tre pas ˆ vos manires de

travailler : jĠai la sensation quĠˆ chaque fois le travail, la pensŽe se fait

et les sensations naissent en faisant le film, en construisant lĠimage et

le son. Ce nĠest pas lĠapplication dĠun plan. Peut-tre que je me trompe

mais ˆ la limite ce nĠest pas grave ; quoi quĠil en soit, je ressens vos

films comme cela. Au cinŽma, le plus souvent, cĠest trs diffŽrent,

sans parler des belles images et de lĠhistoire : ce que lĠon ressent est

la rŽalisation dĠune belle partition Žcrite au prŽalable et je ne trouve

pas cela trs intŽressant. Alors que lorsque le travail est en train de

se faire, il y a certains plans qui restent en tte parce que, justement,

on nĠarrive pas ou trs difficilement ˆ les mettre ˆ cette place-lˆ plut™t

quĠailleurs dans le filmÉ Du reste, cette dimension du travail en train

de se faire est gŽnŽrale, je la retrouve dans lĠŽcriture, et cĠest ce qui

me para”t intŽressant en philosophie. CĠest un rapport ˆ la pensŽe,

cĠest une pensŽe en direct, un rapport au temps, sans intermŽdiaire,

ou avec le moins dĠintermŽdiaire possible, mme si cĠest complexe,

mme si lĠimage est trs travaillŽe, le film hyper montŽ, etc. Tous ces

moyens ne sont pas des intermŽdiaires mais des raccourcis pour

atteindre une pensŽe que lĠon est en train de se chercher.

Une chose aide ˆ apprŽhender vos vidŽos, cĠest le fait que lĠon nĠa

pas une culture Žnorme de ce genre de film (parce quĠil y en a peu

finalement), donc on nĠa pas beaucoup de repres et quand on voit

la premire image on ne sait pas trs bien o cela va aller. Alors que

lorsque lĠon regarde le dŽbut dĠun western ou mme celui dĠun documentaireÉ

LĠÇ essai È a sans doute ˆ voir avec votre travail vidŽo, mais je trouve

que le mot est presque rŽducteur. Par exemple, jĠaurais du mal ˆ dire

du film dĠO.G. Minervio (VidŽo pour rien)que cĠest un essai, peuttre

parce quĠil y a trs peu de texte, je ne sais pas. Le film pourrait

sĠarrter ˆ tout moment, je ne saurais dire ce qui va se passer aprs

tel ou tel plan, il pourrait y avoir un ŽvŽnement qui va changer le film

dans son ensemble, je ne sais pas, je suis compltement perdu et, en

mme temps, je suis, instant par instant, une relation au paysage, au

son, une pensŽe qui est en train de se construire. Et entre Minervio et

son inverse Mea culpa I. de F.G. – film multicouches qui sĠaffiche en

tant que tel – il existe une diffŽrence de fond : dans Mea culpa cĠest

une pensŽe qui se pense elle-mme en train de faire le film, et le c™tŽ

digression que cela permet me touche beaucoup et me permet enfin

de respirer en regardant un film. Sinon on se retrouve sur des rails et

on attend que a se termine. Dans vos films, on ne sait pas quand a

va se terminer et, du reste, on ne sait rien du tout.

Maintenant, je trouve quĠil serait intŽressant de travailler le rapport de

vos vidŽos avec, dĠune part, le cinŽma expŽrimental et, dĠautre part,

la vidŽo dĠart. Souvent le cinŽma expŽrimental est un travail du matŽriau,

et la vidŽo dĠart davantage lĠapplication de concepts, dĠidŽes.

Or vous nĠtes ni dans lĠun ni dans lĠautre, mme si par certains c™tŽs

vous vous approchez des deux. En fait, vous vous servez de tout

cela pour travailler du sens (et dans le cinŽma expŽrimental il nĠy en

a pas forcŽment ou, en tout cas, ce nĠest pas pensŽ en tant que tel

– du cinŽma basŽ sur le travail de la pellicule aux journaux intimes

filmŽsÉ).

 

Pour revenir aux deux relations que jĠŽvoquais au dŽbut, je dois avouer

que jĠai ŽtŽ surpris par le travail du texte ˆ lĠŽcran. Lorsque vous me

donnez un texte sur papier, ˆ lire, je nĠy suis pas sensible alors quand

je les reois par la vidŽo, je marche ˆ fondÉ Quand je disais que ce

nĠŽtait pas un fait personnel, je voulais dire que je ne mĠy attendais

pas, au dŽpart. JĠy trouve du reste un rapport avec la radio : le cerveau

est capable de se diviser en beaucoup de couches, mme si cĠest

que du son ; et lorsque lĠon met un son informatif, de la musique et un

texte, on arrive ˆ Žcouter tout cela ensemble et a recrŽe du cinŽma.

Parfois on place des mots dans une Žmission et on les pense Žcrits,

comme vous le faites dans vos vidŽotextes. Reste que cĠest plus fort

ˆ lĠŽcran, lĠespace y est plus Žvident et beaucoup plus large. LĠidŽe, ˆ

la limite, quĠun texte ne soit pas lisible mais prenne un certain nombre

de sens une fois portŽ ˆ lĠŽcran, mis en images, est un bon signe,

je trouve. Pour Ce qui me prit par exemple, je ne voyais pas o F.G.

voulait en venir, par ce texte, et en le voyant en images, tout dĠun

coup le rythme mĠest apparu Žvident. Le texte, pour moi, nĠexiste que

lˆ, ˆ lĠŽcran et je ne veux pas entendre parler du papier. CĠest du texte

vidŽo, il existe comme a. Ensuite, le texte sur papier me fait un peu

lĠeffet des photogrammes de film ou des photos de danse, dont on ne

peut rien dire ; cĠest bien joli mais il nĠy a rien ˆ penser de a. Exemple

idiot, flagrant : Ç pas lˆ pour la pluie È, ce fragment de texte que O.G.

utilise ˆ lĠŽcran : ce texte ne me fait rien si je le reois sur papier ; en

revanche, portŽ en images, je comprends tout et je nĠai pas besoin

dĠen parler. Sur papier, je reois le texte comme un signe, comme une

page sur laquelle serait marquŽ Ç Bonjour È. CĠest comme lorsquĠun

photographe me donne une belle photo dĠune belle faille dans un

murÉ CĠest comme un cadeau, cĠest gratuit. Alors que vos textes

portŽs ˆ lĠŽcran prennent sens compltement non seulement parce

quĠil y a de lĠimage avec le texte mais par le rythme, le temps, et ce

nĠest plus du tout la mme chose quĠun texte ˆ lire sur papier (le

rythme de tourner la page nĠest pas, selon moi, un vrai rythme).

Le texte une fois traitŽ en vidŽo nĠest plus ˆ penser en termes de

texte, ou ce serait comme dĠanalyser du Xenakis avec des notesÉ Et

le fait que ces textes fassent sens parce quĠils sont en vidŽo, lorsquĠils

deviennent plastiques, est un problme en soi. Mais peut-tre quĠun

Žcrivain pur dirait lĠinverse. De mme que sculpter la couleur est une

belle idŽe, lĠidŽe dĠŽcrire un texte en composant la vidŽo en est une

Žgalement.

On peut ainsi sĠintŽresser aux images dĠun film, au son et, en plus,

lire un texte, le tout dans un rythme. On a vraiment lĠimpression que

le cerveau, tout dĠun coup, sert plus que dĠhabitude : on Žcoute de

la musique, on voit des images, on lit un texte, on suit un rythme, on

construit un sens, bref on y fait beaucoup de choses en mme temps

et en plus on ne sait pas o a vaÉ Il y a un rapport au mental qui est

plus riche que la moyenne – la moyenne des films comme de ce que

lĠon peroit Ç dans la vie È. CĠest assez rare comme expŽrience. Ë ce

propos, je vois moins de diffŽrence quĠil nĠy para”t entre une installation

et ce qui se passe dans la rue ; alors que dans vos vidŽos, ce sont la

composition et lĠobjet revendiquŽ en tant que tel – car il sĠagit dĠobjet –,

cette projection sur un espace limitŽ, cette limitation mme du champ

dĠaction qui me paraissent donner ˆ vos films le caractre dĠobjets

finis. CĠest aussi lĠexpression dĠune rŽsistance courageuse ˆ la mode

selon laquelle on doit se poser et rŽpondre nŽgativement ˆ la question

de savoir de quel droit on compose un matŽriau, de quelle autoritŽ,

etc. Vos vidŽos ont pour moi un rapport avec le travail scientifique,

dans un laboratoire : on ne peut pas confondre le laboratoire et le

monde. De mme si on dŽcide de mettre un mot poŽtique dans une

Žquation de maths, on a le droit – je ne le conteste pas – mais cela

ne sert ˆ rien. JĠŽvoque les sciences en me rŽfŽrant ˆ RenŽ Thom qui

disait en gros que faire de la science revenait ˆ remplacer du visible

inintelligible par de lĠinvisible intelligible ; cĠest ce que vous faites : une

mise en forme. Ce quĠest lĠessai chez vous : une expŽrience. Ainsi,

le traitement du texte est une sorte dĠexpŽrience que vous menez en

laboratoire, dans un tube ˆ essai.

 

AppleMark
 AppleMark
 AppleMark
 AppleMark

 

AppleMark
 AppleMark
 AppleMark
 AppleMark

 

AppleMark
 AppleMark
 AppleMark
 AppleMark

 

 

 

 

 

 

/retour